@Izzy

Heureusement pour elle, sa double-vie de danseuse lui a toujours permis de s’entretenir au quotidien. Son corps longiligne et affûté est la preuve vivante des années de sacrifices qu’elle a dû s’infliger. De longues années où chaque matin il lui fallait quitter le confort de son lit pour retrouver l’atmosphère glacial d’un studio de danse à peine éveillé et finir par se glisser, le corps ankylosée, sur les bancs rugueux de la faculté de médecine quelques heures plus tard. Jamais son corps ne la trahit, jamais il ne la laisser tomber même si elle flirtait souvent avec les limites de l’exhaustion. Ici c’est différent, la cadence de ses journées s’est considérablement ralentie et c’est presque avec un sourire qu’elle se glisse chaque matin dans la salle de sport. Cernée par les miroirs, elle s’imaginerait presque dans son petit studio de danse à Buenos Aires prête à voguer entre les bras de son partenaire de toujours. Elle sentirait presque la chaleur de la paume délicate de sa main au creux de ses hanches et son souffle chaud se heurter contre sa nuque. Il lui suffirait de clore ses paupières pour imaginer sa poigne vigoureuse se refermer autour de son bras prête à la maintenir et l’empêcher de s’échouer sur le sol. Un frisson parcourt son épine dorsale, la ramenant brutalement à la réalité : il n’y a qu’elle ici et jamais plus elle ne pourra compter sur son plus grand pilier. Elle se laisse aller à commencer quelques étirements de quoi réveiller son corps encore un peu ensommeillé. Au fur et à mesure, elle finit par sentir chaque fibre de son corps prendre vie si bien que dans un dernier effort elle laisse ses pieds glisser doucement le long du sol jusqu’à se retrouver en grand-écart. Sa routine d’échauffement s’achève toujours par ce geste là, ses deux jambes disposées de manière totalement horizontales par rapport à l’axe de son corps. Ses mains viennent attraper la pointe de son pied et elle laisse glisser son buste vers l’avant jusqu’à ce que ses côtes flottantes viennent heurter son genou. Trente secondes, c’est tout ce qu’il lui reste à faire. Le décompte commence dans sa tête, il s’agit désormais pour elle de contrôler sa respiration afin d’y imprimer un rythme régulier. Cinq secondes pour inspirer, cinq secondes pour expirer. Lorsque son buste s’élève à nouveau une nouvelle âme se tient à quelques mètres d’elle. Le miroir reflétant la silhouette du nouvel arrivant. Elle sursaute. « Oh put- » commence-t-elle à souffler avant que le reste de l’injure ne meure au bout de ses lèvres. Instinctivement, sa main gauche vient trouver le chemin de son coeur qu’elle sent battre à un rythme fou. « Tu rentres directement dans le top 10 des mes plus grosses frayeurs, félicitations à toi, on n’a rien pu faire. » lâche-t-elle ironiquement en roulant des billes l'ombre d'un sourire aux coins des lèvres. Mauvaise joueuse la Bianka. S’aidant de la force des bras pour se hisser à nouveau sur ses deux pieds, elle sent sur elle le regard de son camarade. Lui offrant un haussement de sourcils interrogateurs elle poursuit : « Tu comptes me regarder comme ça toute la journée ? Va t’entraîner, je  promets de ne pas te déranger si tu ne veux pas de moi ici. ». S’il y a bien une chose qu’elle sait faire, c’est ignorer et si jamais l’esthète sous ses yeux souhaite qu’elle soit réduite au silence alors elle obligera. Ce n’est pas comme si elle était fan des discussions pendant les séances de sport après tout.        

La danse reste et restera son premier amour, le genre de passion qui fait tourner la tête jusqu’à nous abandonner chancelante et pantelante sur le sol, drainée de toute énergie. Quitter la troupe, et son partenaire de toujours, ne fut pas une décision aisée. Ce serait mentir que de dire qu’elle n’y repense pas souvent lorsqu’elle se lève chaque matin et qu’elle se voit obligée de se rendre à la salle de sport et non à son studio de danse. Certaines habitudes ont la vie dure, s’entraîner chaque matin pour garder son corps souple et en forme en fait parti. Son amour pour la mannequinat ayant pris le dessus, elle ne peut que contempler son passé de danseuse avec une certaine tendresse. Bête et disciplinée, elle s’applique chaque matin à répéter inlassablement sa routine d’échauffement. S’entraîner et prendre soin de son corps sont deux choses importantes dans le monde de la mode autant joindre l’utile à l’agréable. Perdue dans ses pensées elle n’entend pas qu’Izzy vient de pénétrer dans la salle de sport ce qui ne manque pas de la faire sursauter lorsqu’elle aperçoit sa silhouette la surplombant dans le miroir. Un peu trop dramatiquement elle essaye de faire comprendre à son camarade qu’il lui a fichu la peur de sa vie. «Il faut bien une première fois à tout » rétorque un petit sourire énigmatique sur le coin des lèvres. Il n’y est pour rien Izzy si son cœur a réagit trop vite à la présence d’un inconnu à quelques mètres d’elle. « T’es pas si effrayant que ça si c’est ce qui te tracasse. » qu’elle s’empresse de rajouter. Qu’il ne se mette pas à penser qu’il est laid au point d’effrayer les jeunes femmes, loin de là. Bianka ne voudrait pas être celle qui détruira la confiance en soi du brun même si son interlocuteur n’a pas l’air du genre susceptible. Apparemment Izzy épiait la jeune femme pour savoir ce qu’elle avait à lui apprendre. Hm d’accord. « Et du coup tu as appris des trucs en me regardant faire le grand-écart ? ». Qui sait peut-être qu’il avait eu une révélation qui remettra en question toute son aventure suite à ça. Ne jamais sous-estimer le pouvoir du grand-écart. Izzy s’enquit de savoir si la jeune femme n’a pas trop la pression connaissant son statut de star de la semaine. « Si je n’avais pas la pression avant on peut dire que je l’ai maintenant. » plaisante-t-elle en laissant son petit rire cristallin envahir la pièce. « Ça faisait parti de ton plan c’est ça ? Rusé. » conclu-t-elle en vrillant son regard au sien. Peut-être qu’il avait dans l’idée de la déstabiliser, elle était un peu la cible à abattre cette semaine. «Sincèrement, j’ai l’impression de marcher sur des œufs 90% du temps. J’ai l’impression que tout le monde m’observe en permanence et d’être une alien. C’est assez étrange comme sensation mais je ne me plains pas. ». Loin de là même, elle est plutôt fière d’avoir fait bonne impression lors de cette première étape de casting au point de se démarquer des autres candidats. Cette pression sur les épaules va lui donner envie de se surpasser un peu plus chaque semaine. Travailler sous pression fait parti intégrante de sa vie, elle n’a connu que ça. « Alors selon toi, qui risque de me détrôner la semaine prochaine ? » s’enquit-elle un peu curieuse de savoir de quel concurrent elle allait devoir se méfier même si elle a déjà sa petite idée sur la question.