Je m’attendais à beaucoup de chose dans cette villa, mais pas forcément à une bibliothèque. Pour autant, quand on y réfléchit bien, cela colle plutôt bien avec le let motiv du panel qui désire des mannequins aussi bien beau, qu’intellectuels. C’est sûr qu’au vu de certain de mes colocataires, il y a encore du boulot sur le second domaine. Sur le premier aussi d’ailleurs, mais ça c’est quand même plus facilement améliorable. En attendant, je me traine dans les rayonnages, baladant mon regard sur les différents titres. Je remarque alors un jeune homme dans un coin. Je l’avais déjà remarqué dans la salle d’attente, avec son livre. Il semble ailleurs, en tout cas il m’intrigue. Il a comme une beauté lunaire attirante et mystérieuse. « Tu passes ta vie à lire ? » Ce n’est pas à reproche, juste une interrogation. Le genre de choses qui résonne en moi. Je ne suis pas comme ça, mais je comprends cet étât d’esprit. « C’est sûr que quand on regarde le monde qui nous entoure. On est bien mieux entrain de voguer dans un monde imaginaire au gré de notre esprit. » Si j’avais pu fuir à chaque fois qu’une épreuve, plus compliquée que la précédente, se dressait devant moi. Je l’aurais fait plus d’une fois, mais non, j’ai tout affronté, tout prit dans la tronche, pour être ce que je suis. « Moi c’est Anders et toi ? » Je n’ai pas envie de le déranger, juste de le comprendre. Après tout, si on doit être amener à travailler ensemble à l’avenir, autant qu’on apprenne, dès maintenant, à se connaître.

quelque part entre le cellier et la bibliothèque, il avait finalement trouvé ses marques. finalement. c'est que la maison est grande, c'est qu'il lui a fallu plus d'une heure pour s'y repérer parfaitement. le sens de l'orientation se développe s'il est nécessaire, et pendant trop longtemps fut pour lui un besoin vital. sans trouver son chemin on ne trouve absolument rien, on ne se trouve pas soi-même. un mélange étrange de mémoire et d'instinct. mais l'instinct se perd dans le luxe, pour beaucoup de gens du moins. pas pour lui. parce que son instinct est sa survie. l'un et l'autre sont relativement vides, relativement. souvent. pas qu'il n'aime pas les gens, il le sait juste, il n'est pas très bon avec eux. et sans être parfaitement à sa place, il le sait, il n'y sera jamais vraiment, ce n'est pas son rêve d'être vu, sous le feu des projecteurs après tout. c'en est même plutôt loin. s'il a encore des rêves ? il n'en est pas certain. mais par terre, entre deux rayonnages, la tête appuyée contre l'un, le casque posé sur l'oreille, il est déjà mieux qu'au milieu de tout le monde. plus à sa place peut-être. paradoxe étrange que d'être à sa place à l'écart. il n'est pas sûr d'y être dans cette maison en tous les cas. mais il faut bien faire de son mieux. jouer de quelques apparences. il a peut-être un peu l'air d'une poupée désarticulée, vu d'en haut, quelque part entre recroquevillé et prenant toute la place de ce coin pas vraiment fait pour. il y avait des fauteuils sinon. mais il est bien par terre, ou du moins, il est mieux par terre, à ne pas trop savoir quoi faire de ses membres, comme un cocon autour d'un recueil de poèmes choisi un peu au hasard. mais une voix le tire de sa nouvelle jérusalem, rocailleuse, un peu. il tremble un peu à celle-ci, comme s'il n'avait pas fait attention aux pas qui venaient, à la porte qui s'ouvrait grand. comme s'il n'avait rien entendu de tous ces bruits qui contractent ses muscles, sans qu'il ait vraiment son mot à dire. et il laisse les mots glisser, continuer. peut-être parce que la première question sonnait comme vaguement rhétorique, peut-être parce qu'il n'est pas bon avec les mots lui, quand il faut les dire. le nom. son nom. c'est bien qu'il le dise, il n'était pas sûr de s'en souvenir. il sera maintenant entre blake et poe, gravé dans ses mémoires du jour. « markus.» son nom, aussi. la voix pâle et le visage tremblant. peut-être l'inverse. lunaire à se soustraire au monde. et si la voix est faible, si le livre se ferme, c'est pour répondre aussi. parce que ses doigts ne retiennent plus rien quand il cause, et sa voix ne retranscrit que les signes. sa voix n'est pas vraiment fluide, se cherche un peu. les arguments sont là pourtant, à flotter entre ses doigts, avec un temps d'avance. et il est aussi lisible qu'une méthode de lecture l'est au lecteur accompli, le visage ouvert, peut-être parce qu'il ne sait pas faire autrement. parce qu'il n'a jamais su trop se cacher autrement que physiquement. « c'est-en fait-je... il est très bien, le monde. il y a plein de choses. je veux dire-dedans. plein de gens biens. l'humanité. je suis sûr que-enfin-il y en a plus dans le monde que dans les livres.» parce qu'il n'a jamais été cynique au fond. maltraité, peut-être un peu, ailleurs, c'est certain, pas à sa place, toujours, mais il y a bien une lueur d'espoir qui l'a poussé un jour, à fuir, en se disant que les lendemains auraient peut-être, ailleurs, une autre saveur. « c'est juste-c'est plus simple à comprendre... j'imagine.»

Il se nomme donc @Markus. Au fond, au vu de son comportement, je me demande s’il a bien sa place ici. Après ici on est jugé en tant que futur mannequin et non, en tant que personne. De plus, il est vrai qu’il a un certain style, à affirmer certes, mais un style quand même. Son côté un peu à part, isolé dans son monde remplis d’êtres fictifs. Ses réponses hésitantes me font sourire. Il est vrai qu’il est plutôt attendrissant comme garçon. Respire, cela va bien se passer. Je te comprends, mais tu ne peux pas te réfugier dans les livres tout le temps comme ça. Je dis ça, pour toi. Quand on va être confronté à des vrais professionnels de la mode qui nous mettent la pression, que feras-tu ? J’ai peur qu’il explose en larme au milieu d’un mauvais photoshoot et que cela lui coûte sa place. Alors qu’il a un potentiel énorme pour devenir un très grand mannequin. En plus, tu me diras ce que tu veux, mais les personnages qu’on peut trouver dans des livres de Rabelais, Voltaire ou encore Proust sont, à mes yeux, bien plus complexes que les humains qu’ont croisent au quotidien… Après, ce n’est que mon avis… Ma sœur a eu aussi sa période solitaire à lire des livres jusqu’à tard de la nuit, en imaginant un monde merveilleux, utopique, pour fuir notre triste réalité. Markus est surement comme ça, lui aussi. J’espère juste qu’il ne subira pas de trop grandes désillusions, cela pourrait lui jouer des tours, ce que je ne veux pas parce que même si je ne le connais pas bien. Je l’apprécie déjà ce gamin.

c'est étrange, cette façon qu'il a de lui parler. comme a une petite chose fragile qui n'a sa place nulle part. comme s'il ne respirait pas déjà assez entre chaque mot. et certes, il n'a pour le moment pas vraiment sa place dans ce monde. mais fragile, il ne sait pas trop si c'est un mot qu'on pourrait poser sur ses souvenirs, sur son être. il sait se cacher, il sait fuir, il sait se protéger. sinon, il n'en serait pas là. il ne serait pas là. il serait six pieds sous terre, probablement, le corps aussi meurtri que le cœur. ça a l'air bienveillant, étrangement. mais il a appris a se méfier des airs douceâtres qui en une seconde peuvent se retourner contre n'importe qui. on lui parle comme si on le connaissait, et si le volume de sa voix ne monte pas, si ses yeux ne se lèvent pas, sa voix n'hésite pas. « mon travail... j'imagine. » il y a quelque chose de sec dans ses yeux. peut-être parce que se montrer faible, c'est souvent ouvrir la porte aux séquelles, et il le sait. si sa voix tremble, on le saura petit, on le saura malléable, et si facile à abuser, juste histoire de s'amuser. chaque personne est différente, et il ne sait pas comment ne pas se méfier des gens au fond. et s'il cherche ses mots, souvent, c'est surtout que les langues se mélangent dans sa tête, que les signes lui viennent plus facilement. son anxiété se voit, il la transpire, mais ce n'est pas ça qui le démontera. il n'aurait pas été loin sinon. la discussion pourrait être intéressante, peut-être, mais il a du mal, après cela, a se concentrer dessus. à trouver un bon contre-argument. et il y en a tellement. la nature humaine est impossible à poser sur le papier dans son entier, déjà, simplement. voilà ce que ses mains disent, et qu'il n'arrive pas à traduire, pas vraiment. en décalé, en décalage avec sa propre cervelle, les mots sortent quand même. « sauf que... en fait, la complexité ne fait pas le réel. c'est pas humain parce que c'est compliqué. et on comprends-on... je veux dire, dans un livre, on a tout. même si ce n'est pas... c'est pas toujours clair. mais c'est là. » c'est là. sous douze couches de métaphores et de pages inutiles. chaque aspect d'un personnage, complexe ou pas. il a une place bien à lui, bien définie, et on sait, on nous le dit, pourquoi il fait les choses, ce qu'il se passe dans sa tête. on ne sait pas ça, chez les gens. même si on peut bien tenter d'apprendre à les lire, d'apprendre à les connaitre. on ne le sait jamais entièrement. elle est là la complexité, il est là le fait qu'un humain ne peut pas être entièrement posé sur papier, dans toute sa subjectivité.

Assumer sa différence, c‘est bien je trouve. Après, il ne faut pas, non plus, s’isoler des autres, plus au moins volontairement. @Markus, semble ailleurs, coincé dans ses ouvrages. Quand je l’interroge sur la pression que pourrait lui mettre le monde réel et sur sa réaction qu’il aurait à ce moment-là. Sa réponse me fait sourire. Malgré les apparences, il semble savoir ce qu’il veut, où il est et surtout ce qu’il doit faire pour progresser. Pour toi, être mannequin, c’est déjà un travail alors ? C’est cool ça. Trop de personnes ici semble prendre cela à la légère. En même temps on n’en est qu’au tout début de l’aventure. On ne sait pas encore trop où l’on met les pieds, préférant largement se juger du coin de l’œil, en attendant la suite. De notre côté, pour l’instant, on en est à débattre de l’humain et de sa complexité, dans la vie réelle comme dans celle fictive. Sur ce point on est d’accord, mais est-ce vraiment bien de tout savoir ? Les secrets, les mystères n’est-ce pas plus intéressant ? Cela ne pimente-t-il pas plus notre quotidien ? Même si des fois cela me fait douter, stresser, les deux ensemble. J’aime aussi ne pas savoir, pour ne pas être déçu, mais aussi pour avoir l’excitation de la découverte. Avec ce mode de vie, tu ne finis pas, à un moment ou à un autre, par te faire chier ? Personnellement, sans mon adrénaline et les imprévus qui rythment mon quotidien, je m’ennuierai ferme. Au moins, ici il n’y a pas de quoi s’ennuyer. J’ai l’impression que le temps passe trop vite au point que je me demande comment @Markus, trouve du temps pour lire. Il doit passer à côté de plein de trucs, je ne vois pas comment c’est possible autrement. Après c’est son mode de vie et je ne vais pas le contredire. S’il a choisi de vivre ainsi c’est qu’il est bien comme ça et ça, c’est l’essentiel.