il faut bien survivre pour vivre, se nourrir pour respirer, ce genre de choses absolument logiques. c'est mieux d'éviter de se laisser mourir. ce serait dommage, devant les caméras surtout. puis, il est en bon chemin. pas forcément pour cette aventure mais peut-être pour passer de l'état de survie à l'état de vie. enfin, pour y arriver, il faudrait peut-être que ses repas se montrent plus variés. c'est que c'est bien joli les œufs au plat, mais pour la quatrième fois en trois jours, il serait peut-être temps de se convaincre à faire autre chose. mais c'est à peu de choses près tout ce qu'il sait faire. ça, les salades ou on balance un peu au hasard des trucs dans un pot histoire d'en faire quelque chose de nouveau, et des pâtes. mais à choisir, il préfère se tenir à distance de tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à de l'eau bouillante, quitte à se nourrir exclusivement d’œufs et de céréales. et de barres de céréales. au moins il n'y a pas grand-chose à faire avec. mais malgré son air éternellement hébété, il reste alerte devant sa poêle, avec les yeux qui traînent. c'est qu'il n'est pas tout seul, c'est qu'il reste vaguement tendu. il ne se demande pas non plus quand c'est, la dernière fois qu'il a été détendu. jamais. probablement. ce serait une question stupide qui pourrait rester sans réponse longtemps. genesis. les noms commencent à rentrer, même avec ceux dont il a seulement entendu parler. c'est que ça fait plusieurs jours maintenant, il faut bien prendre ses marques a un moment ou un autre. il y eut la maison d'abord, puis les gens. chaque chose en son temps. genesis qui se brûle, qui recule. deux œufs dans la poêle, puis un blanc en plus. et le jaune restant dans un bol. et une serviette pliée, tout juste nettoyée, apparemment, alors qu'il se sent vaguement épié, et qu'il s'approche, les yeux baissés, l'air idiot, peut-être, avec son matériel et le beurre qui grésille. « un peu.» il aura vu pire, niveau faim. dernier repas vers neuf heures ce matin. trop de céréales. il est vaguement en décalage. les manches tirées vers le haut, juste assez pour ne plus cacher ses mains, pas assez pour découvrir ses poignets. la serviette dans le jaune d'oeuf, et un vague signe du menton vers sa main rougie. « je peux ?» la voix est basse, toujours. pas vraiment assurée, bien que pour une fois, il ne puisse pas vraiment traduire ses signes. « c'est uh-ça ou du dentifrice. pour des brûlures superficielles. » ça calme, les rougeurs disparaissent plus vite. pas besoin de crèmes étranges ou de quelconque pommades. peut-être qu'elles marchent, il n'en sait rien. il n'y aurait pas eu accès, quand il en avait besoin. on fait avec ce qu'on a. on laisse sécher, une ou deux fois, on enlève, et pour quelque chose d'aussi court, ce sera oublié en une minute.

il tire sur sa manche par réflexe, histoire d'éviter peut-être de tâcher son sweat. pas qu'il n'ait pas de quoi s'en acheter un autre. pas qu'il n'y ait pas de machine à laver en bas. le tissu se fixe au dessus de son poignet. trois cercles, taille cigarette, au-dessus d'une bande de gaze qui tombe en lambeaux. qu'il devrait peut-être retirer, vu son peu d'utilité. si, elle en a peut-être. se cacher, toujours, par tous les moyens possible. c'est bref, mais découvert assez longtemps pour être remarqué, si on a l’œil avisé. peut-être son cas, peut-être pas, et sa main tremble, juste une seconde, parce que lui l'a remarqué. puis, il lui a fait peur de base. pas la peine d'en rajouter, qu'elle sache le pourquoi du comment il en sait tant et tant sur comment soulager ces douleurs. douleurs du quotidien. plus ou moins. pas vraiment. parait que ce n'était pas normal, comme truc. parait qu'il avait de bonnes raisons de partir. mais de ça, il n'en parle pas. jaune sur peau. pas très ragoutant. pas très artistique non plus. quoi que. ça ferait une performance assez intéressante. « non, ça va. tu sens bon.» non. pas acceptable en société comme remarque. définitivement pas. et il vire au rouge carmin, sans même y penser une seconde, toujours sans lever ses yeux. enroule la serviette autour de son poignet. « je veux dire. ton parfum. pas - c'était bizarre - je. désolé. c'était. désolé.» un pas en arrière, les mains sur le visage, juste une seconde, avant qu'elles viennent à sa rescousse, qu'il se raccroche à ses signes. et sa question est un peu étrange aussi. puis non, en fait, il comprends, en retournant à sa poêle. ses mains nient avant lui, s'expliquent aussi, avant que sa voix s'y joigne. « je sais juste-uh-j'y connais rien en cuisine.» son accent est trop lourd, prend trop de place quand il parle. dieu qu'il le déteste. dieu qu'il n'est qu'un odieux rappel d'à quel point il n'est pas chez lui. n'y sera peut-être jamais.

la poêle s'incline, les œufs glissent dans l'assiette, et les mains de nouveau libre, il écoute. tire sur le vieux bandage, pas vraiment nécessaire pour contrer une quelconque infection, juste là pour cacher, mis et remis de façon plus ou moins improvisée. elle l'a vu, même si elle n'en dit mot. c'est aisé à deviner. et lui aussi l'a vu. et le morceau de gaze maltraitée tombe dans la poubelle sans qu'il n'en dise rien non plus. c'est qu'il n'y a rien à en dire, rien d'actuel, de nouveau. les cicatrices qui parsèment son corps, de ses poignets à ses jambes, il les connait par cœur. elles vieillissent. ne disparaissent pas vraiment. plus blanches que sa peau pâle, parfois encore vaguement roses. il ne les regarde pas, mais ne pourrait pas les oublier. c'est que c'est la même chose jour après jour, la même routine, c'est qu'il faut les cacher, ses preuves de ces vieux os et du nombre de fois ou ils ont été cassés. du nombre de fois ou son sang à pu couler, ou un os a pu se tordre, et ou il a juste appris à se taire. on ne pose pas de questions sur les choses enterrées, on ne déterre pas les vieilles vérités, les vieux démons, les fantômes pas encore tout à fait morts. et il ne le fera pas. ni maintenant, ni jamais, il en est persuadé. mettre des mots dessus serait ouvrir la boite de pandore, serait tout laisser sortir, poser sa main sur des bris de verre. les choses ont un ordre en tous les cas, et, un instant, il regarde ses œufs, l'air ailleurs, dans le vague. parce que même sans mots dits ils se baladent quand même dans sa tête, se mêlant à ceux de genesis. ce n'est pas qu'il veut lui mentir. c'est qu'il n'a aucune raison de lui dire. même s'il le sent bien, il l'entends bien, elle essaie de faire sortir quelque chose. avec des intentions, ou sans, il n'en sait rien. les humains n'ont rarement aucune intention - même avec de la curiosité pure, même ça, c'en est une. c'est une mère, il ne l'aurait pas deviné. trop jeune, peut-être, pour le gamin qu'elle décrit. mais s'il n'a pas de réponse à donner aux questions qui ne se posent pas, il n'a pas de question à poser lui-même non plus. c'est juste un fait. c'est une mère. et une qui prends son rôle à cœur, visiblement. c'est qu'il y en a qui s'évanouissent, qui disparaissent, qui encouragent, qui ne vont pas à l'encontre de pères et de sang. qui ne soignent pas leurs gamins. il ne saurait dire quelle version est normale. mais il sait loin de laquelle il a dû courir. il sait que majorité des gamins n'ont pas à faire ça. s'échapper loin de leurs parents avant de savoir même comment survivre. il aura appris à se débrouiller seul, lui. mais il n'a pas à s'en plaindre. il est vivant, après tout. et les cicatrices ont bien vieillies, sans qu'on les ravive. sans qu'on les rouvres, au couteau ou à l'âme. chacun ses solutions pour ne plus se laisser embêter. il y a se battre, ou fuir. ou mourir, ou disparaître. il sait pour laquelle il a opté. il sait que, même en sécurité, il questionnera toujours les bruits de pas au fond des couloirs, rasera toujours les murs. que ses cernes seront toujours bleues, même sous le maquillage qu'on leur fait porter parfois, parce que certaines choses marquent. des choses comme n'avoir personne, comme les monstres qui marchent dans le monde sans que qui que ce soit les questionnent. c'est plutôt lui qui y a droit, aux questions, parce que c'est lui qui au fond, a passé son enfance caché sous un lit pour éviter l'eau bouillante et les cendres. l'odeur d'alcool. animal apeuré, proie. trop longtemps pour qu'il oublie.

le silence, juste un instant. qu'il se reprenne, voilà ce qu'il faut. et il n'y a pas de sourire sur son visage, quand il se tourne de nouveau. parce qu'il n'y en a jamais. et sa peau est aussi pâle que la mort, mais c'est habituel, et les cernes sont toujours bleues. c'est le même qu'une seconde avant, le même homme, s'il en est un, le même gamin si on peut dire ça de ceux qui n'ont pas eu d'enfance. aucun changement apparent. c'est qu'il a appris à donner le change. et il acquiesce, d'une façon peut-être un peu plus mécanique qu'il ne parlait avant. c'est qu'il a eu le temps de chercher ses mots. et il triture ses doigts plutôt que de se raccrocher à ses signes, pour une fois. « ce serait avec plaisir. pour la cuisine, je veux dire. » on ne lui a jamais appris grand-chose là-dessus. elle a raison sur un point, ce n'est pas quelque chose qu'on apprend aux garçons dans trop de familles. c'est un travail de femme. rhétorique stupide. tout le monde a besoin de se nourrir, et pas que de céréales et d’œufs au plats et de fonds d'assiettes déjà préparées. pour le reste, il ne sait pas trop quoi rajouter. si, peut-être, d'abord, pour les œufs. l'astuce stupide, qui a toujours marché, pour lui au moins. « les jaunes c'est pas très... ragoûtant, je sais mais - ça marche. » et c'est bien tout ce qu'on lui demande quand il n'y a pas de pommade à disposition, quand la peau hurle un peu, bats de façon étrange, comme si un cœur de substitution se posait derrière. donne l'impression de luir sans aucun visuel. oh, pour elle, c'était juste une seconde. ce n'est pas le genre de blessure qui lancera longtemps. et pour son gamin ? c'est là que le bat blesse. c'est là que les mots se perdent un peu plus. que même avec le temps il ne sait pas improviser. « c'est bien qu'il aille mieux - il... a de la chance de t'avoir. » d'avoir quelqu'un qui se batte pour lui. qui parle de lui. qui lui prête attention. des choses probablement normales. probablement.

au fond, ses yeux brillent un peu. mais sur son lit de mort, il ne l'admettrait pas, que quelque chose en lui, à cet instant là, est remué un peu. peut-être ce rappel que non, ce n'était pas normal tout ça. rien de tout ce qui est derrière lui, et lui non plus. et la manche trop longue à une autre utilité, on la passe devant les yeux avec l'excuse de les frotter. ça marche plutôt, avec cet air éternellement fatigué qu'il trimbale, comme atlas porte sa planète. et puis si. il faut distraire, quand on est en position de faiblesse. montrer le contraire. que tout va bien. et si la voix est enrouée, il blâmera cet accent qui alourdit sa langue. « il s'appelle comment ? »