Vous savez ce qui pourrait le plus être comparé avec un rêve ? Un petit-déjeuner royal en terrasse avec le soleil pour te réchauffer la peau, les oiseaux qui chantent et une température suffisamment agréable pour que tu puisses te pavaner en petite tenue. A défaut de pouvoir me pavaner toute nue comme je pourrais le faire chez moi, j’ai opté pour un bas de jogging et un vieux t-shirt blanc d’une simplicité affolante. Confortable même si offrant clairement une dégaine dégueulasse. Il est important de montrer au public ce genre de facettes, les mannequins ne passent pas leur temps à avoir l’air de bombes atomiques. Au réveil, ils sont comme n’importe qui, dépourvus de maquillage et habillés comme des sacs pour prendre le petit-déj. J’ai profité de l’absence de la plupart de mes camarades en cette heure matinale pour me concocter quelques gaufres qui accompagneront le bol de fromage blanc que je me suis préparé avec un bon jus d’orange et un café bien chaud. J’ai emporté avec moi un classique de la littérature américaine traduit en français, Breakfast at Tiffany’s. C’est mon truc depuis quelques années, plutôt que de toujours dévorer les livres français, je me laisse parfois aller aux versions françaises de classiques de la littérature anglophone. Je ne suis pas toujours d’accord avec les traductions proposées mais ça a au moins le mérite de maintenir mes capacités à travailler les textes d’une langue vers l’autre, chose que l’on aurait tendance à délaisser lorsqu’on enseigne une langue dans sa forme la plus primaire. Installée à table, mes lunettes de soleil sur le nez, je savoure mes gaufres tranquillement depuis une bonne petite dizaine de minutes lorsqu’un candidat décide de se joindre à moi. Il semble à peine réveillé, les yeux encore tout gonflés après une nuit qui, peut-être, a été courte. « Tu veux une gaufre ? » Je propose généreusement, j’en ai encore trop fait de toute manière, comme d’habitude. Je suis incapable de cuisiner juste pour moi, il me faudrait toujours trois ou quatre convives pour éviter les restes.

Rien de tel qu’un réveil matinal pour te permettre d’entamer ta journée sous les meilleurs auspices. A la villa, c’est peut-être le seul moment de la journée où personne ne se balade dans les couloirs. La vie à vingt-quatre nécessite quelques ajustements. J’aurais parfois tendance à me revoir chaque année lorsque j’emmène un groupe d’élèves en voyage scolaire en France. J’en garde des souvenirs excellents, je me rapproche généralement de mes élèves car nous sommes amenés à nous découvrir dans un cadre moins codé, laissant plus de place à l’improvisation. N’oublions pas que ce sont eux qui m’ont appris à danser cette chorégraphie qui a secoué les clubs pendant un été ou deux, comment appellent-ils cela ? Ah oui, le Kuduro. Ils ont passé une soirée à nous apprendre à leur tour, à partager leur savoir pour que mes collègues et moi tentions de relever le défi. Je n’ai jamais eu l’air aussi incapable et ridicule mais nous avons beaucoup ri. Le pire dans tout cela ? C’est qu’aujourd’hui je suis capable de parfaitement danser le kuduro. Une victoire personnelle sur ces petits cons qui pensaient que j’étais incapable de le faire, bisous à vous. Je me demande ce qu’ils sont devenus, j’ai parfois des nouvelles mais bon… C’est comme ça dans le métier, nous ne sommes qu’une étape dans leur développement. Ici, à la villa, j’ai cette même impression. Aucun rapport de force à établir entre les différents candidats, juste ce départ à zéro, cette obligation que nous avons à tous devoir nous supporter en permanence. Tirer un trait sur son intimité est compliqué, j’ai besoin d’un petit moment dans la journée pour rejoindre cette petite bulle qui me permet de me recentrer. J’ai choisi le matin, un roman, le soleil lorsqu’il pointe le bout de son nez, la chaleur, la douceur d’un bon petit-déjeuner. Tous ces éléments qui permettent d’entamer la journée sereinement. Quelqu’un perce un trou dans ma bulle en passant par là, je ne risque pas de lui pourrir la vie, j’ai eu le temps nécessaire pour atteindre mon objectif. Je l’accueille avec un grand sourire, lui propose même une gaufre ou deux, parce qu’il m’en reste quelques-unes. Il a le regard fuyant, les doigts rivés sur son roman, je l’observe et me laisse aller à un premier diagnostic. Il est probablement timide, réservé. « Bien-sûr. Tu en veux combien ? Grosse faim ? » Mes yeux analysent le garçon, un sourire étire mes lèvres tandis que j’attrape une assiette pour y mettre deux gaufres. « Au moins deux, tu m’as l’air tout maigrichon, on va te remplumer un petit peu, ça ne te fera pas de mal. » Il s’excuse pour ne pas m’avoir salué, de quoi faire s’étirer un sourire attendri, il est vraiment mignon. « Oh, ne t’inquiètes pas pour ça. » Il a l’air gentil, c’est un bon début. « Tiens, dis-moi ce que tu veux sur ta gaufre ? Chocolat chaud ? Confiture ? Sucre ? Myrtilles ? » Nous avons un large choix ici, c’est agréable. « Gourmandise intégrale en optant pour un combo à base de chantilly ? Dis-moi tout, qu’est-ce qui te ferais plaisir ? » J'aimerais bien l'appeler par son prénom mais impossible de le retrouver. « C'est quoi ton p'tit nom ? »