« Attention... » Je gigote dans mon sommeil. Et parle, doucement. Même si dans mon rêve, ou plutôt cauchemar je crie. Je suis en train de revivre l'accident de voiture qui a coûté ma jambe. La voiture en face nous éblouis, pour une simple et bonne raison, c'est qu'elle fonce droit sur nous. Mais pas le temps de l'éviter que la collision a lieu. Le choc est violent. Très violent. Mais contrairement à ce qui s'est passé dans la réalité, je reste conscient. Et mon frère est encore en vie...pour l'instant. Je lui parle, je tente de le rassurer, qu'on va s'en sortir.... Mais je ne suis pas convaincu moi même. Puis il lâche son dernier soupire, sous mes yeux. Blackout. Je me « réveille », je suis dans une salle d'opération. J'entends les chirurgiens s'affairer autours de moi. Je suis conscient, mais je ne peux pas bouger. Personne ne semble s'être rendu compte que l'anesthésie ne fait plus effet. J'ai beau hurler, aucun son ne sort de ma bouche. J'entends le bruit d'une scie, et les médecins parler entre eux. Ils vont me couper la jambe. Non non ne faîtes pas ça mon dieu. Lorsque la scie touche ma peau, et commence à entailler la chair, je hurle de douleur, et je suis immédiatement tiré de mes songes. Je me redresse, en sueur. Mon cri a très certainement été réel. Tout comme la douleur vive que je ressens en cet instant présent à ma jambe manquante. Je me frotte le moignon, comme pour atténuer la douleur, bien que ça n'aide pas franchement. Car la douleur, elle est située à mon pied, pied qui n'existe plus.  Le cœur qui bat à mille à l'heure, la respiration rapide, je tente de reprendre peu à peu mes esprits. J'en ai complètement oublié la présence de @Tara dans la chambre, qui a dû être réveillée par mes cris.

Tout allait pour le mieux. Pour la première fois depuis le début de l’aventure j’étais parvenue à me coucher de bonne heure et, surtout, à m’endormir dans la foulée. Vous n’avez pas idée de l’exploit réalisé. En temps normal je tourne, me retourne, enrage et m’énerve sur mon propre oreiller pendant des dizaines et des dizaines de minutes. Conséquence notable ? Plus je suis agacée et moins le sommeil parvient à me gagner. Un maudit cercle vicieux qu’il m’est souvent difficile de rompre. Je suis endormie depuis quatre bonnes heures à présent, un sommeil calme, tendre, réparateur quand tout à coup… Un immense cri résonne dans la pièce et m’arrache à mes songes. Je sursaute, attrape mon oreiller que, par réflexe et dans un instinct de préservation, balance droit dans le vide comme si quelqu’un se tenait au pied de mon lit, prêt à me déchiqueter la peau. Il n’y a rien dans la pénombre, personne qui pourrait vouloir me faire du mal. Il n’y a que Sander, dernier compagnon de chambre, en sueur, apeuré… Non, pas apeuré… Terrorisé. Je bondis sur la lampe d’appoint que je m’empresse d’allumer pour pouvoir m’élancer jusqu’à lui. Il n’est pas encore complètement revenu à lui, il est entre deux mondes. « Sander calme-toi, là, c’est un cauchemar… Tu as fait un cauchemar ! » Impulsion tendre, maternelle ? J’ai un réflexe stupide qui consiste à l’enlacer, à plaquer sa tête contre ma poitrine. Ce ne sont pas les battements de mon cœur qui le calmeront, cet enfoiré bat la chamade, la faute à des émotions trop fortes pour quelqu’un d’endormi. « Tout va bien, ça va aller. » Je lui caresse les cheveux tendrement, calmement. Tout ce qui pourrait l’apaiser, l’aider à revenir à la réalité sereinement.

J'entends encore le bruit strident de la scie, et le son que ça a fait au moment d'entailler la chair. Les souvenirs sont très vifs dans mon esprit. Tout comme l'accident de voiture. Il y'a des rêves dont on ne se souvient pas, je peux vous dire que là c'est très clair dans ma tête. Comme si j'y étais. En même temps, c'est 80% du vécu, 20% de la fiction. Alors que je frictionne mon moignon, sans même comprendre ce qui m'arrive, y'a Tara qui déboule telle une tornade, et me plaque la tête contre sa poitrine. Whaaat, elle cherche à m'étouffer ? Elle me caresse même les cheveux en mode ça va aller. J'ai pas 10 ans ça va. Puis coucou, je suis de retour parmi nous. Je peux ressentir les battements de son cœur qui filent presque aussi vite que les miens. Mais en fait étrangement, je sais pas pourquoi, cela m'apaise un peu quand même. Je cale ma respiration sur la sienne.  « Non ça ne va pas aller, c'est la p'tain de réalité... » J'aimerais bien que ça soit simplement un cauchemar mais malheureusement cela n'est pas le cas. Mon frère est toujours mort. J'ai toujours une jambe en moins. Et la souffrance autant physique que psychologique est bel et bien réelle. Et puis là dans un réflexe d'autant plus stupide qu'elle, je me détache légèrement, je relève la tête, et viens l'embrasser. Oui mesdames et messieurs, vous avez bien compris, mes lèvres viennent de se poser sur les siennes. Je vais probablement me prendre une claque retentissante, mais je réfléchis à rien là tout de suite. La douleur est trop forte pour ça, j'ai juste envie d'oublier quelques instants. Est-ce trop demandé ? Probablement.

Je ne m’attendais pas à être réveillée de la sorte. Il y a des centaines d’options plus agréables pour arracher quelqu’un à son sommeil. L’intention de Sander n’était cependant pas de me réveiller, lui-même ne devait pas s’attendre à affronter de tels cauchemars et à réagir de la sorte. Je suis déboussolée, difficile de ne pas l’être quand le calme laisse place à la tempête en un quart de seconde. Je suis à moitié réveillée mais j’ai ce réflexe de bondir, prête à venir en aide à cette âme en peine. Je traverse un bref moment de flottement durant lequel je suis tout juste capable de me tenir debout sur mes pieds et d’allumer la lampe de chevet qui me permettra d’y voir plus clair. La suite est carrément instinctive, je rejoins Sander, le prend dans mes bras et tente de l’apaiser. Il n’y a rien de tel qu’un cauchemar interrompu par un réveil brutal pour te perturber et te laisser sur les genoux. Sa respiration est saccadée, irrégulière. Il est en sueur et surement à moitié conscient de l’état dans lequel il se trouve. Logique, tu as souvent besoin de quelques minutes pour reprendre tes esprits après un mauvais rêve, il arrive parfois même qu’il te poursuive sur le restant de la nuit, qu’il te trotte dans la tête sur l’ensemble de ta journée. Il n’y a rien de pire qu’un retour vers tes traumatismes les plus profonds pour te rappeler que tu n’as pas tant avancé que cela. Plus les secondes passent et plus je le sens apaisé, calmé. « Raconte-moi, raconte-moi ton cauchemar… Ta réalité ! » Je suppose que c’est lié de près ou de loin à son accident, c’est la première chose à laquelle je pense. Mes doigts continuent d’effleurer tendrement ses cheveux, lentement, paisiblement. Il redresse légèrement la tête dans un mouvement qui nous fait gagner quelques centimètres de distance et… Attendez… Quoi ? Il m’embrasse. Ses lèvres effleurent les miennes, se pressent contre mes lippes et font intensément bondir mon cœur dans ma poitrine. Je perds tous mes réflexes et cède à la panique. Le seul constat qui s’impose à moi, c’est qu’il a les lèvres drôlement sucrées, enivrantes. Je ne parviens pas à m’empêcher d’apprécier le moment, de désirer poursuivre quelques secondes supplémentaires. Ma raison ne parvient pas à reprendre le dessus sur la tentation, sur ce que mon corps… Mon cœur me dictent de faire. Mes mains remontent le long de ses mâchoires tandis que je donne suite à son baiser. « Ce n’est pas bien. »