Tu as un peu l'impression, ici, de perdre tes repères temporels. Sans emploi du temps fixe, tu te retrouvais un peu perdue. Du coup, c'était déjà le début de l'après-midi, et tu n'avais toujours rien mangé. Tu te diriges dans la cuisine pour te faire une truc à manger. Quelque chose de simple, tu n'as pas envie de trop te prendre la tête. Tu fais cuire du riz, et en attendant, tu coupes quelques légumes, des tomates, des poivrons et un peu de concombre. Une salade de riz froide, c'est parfait, et assez léger. Une fois cuit, tu passais le riz sous l'eau froide, et tu le mélangeais aux légumes dans un grand saladier. Tu t'arrêtes un instant. Oui, tu en as définitivement trop fait. Tu attrapes plusieurs assiettes et une poignée de couverts que tu amènes avec toi dans la salle à manger en plus du saladier. Évidemment, il n'y a personne, à l'exception de ce jeune garçon en train de lire, que tu avais remarqué de par sa discrétion. Tu poses le saladier sur la table et tu t'assois non loin de lui, espérant ne pas trop l'embêter. Tu ne sais pas vraiment s'il a remarqué ta présence, ou s'il est trop concentré dans sa lecture. « Est-ce que tu en veux ? » demandes-tu doucement, un peu pour attirer son attention. « Je suis vraiment nulle pour doser le riz, ou même les pâtes... »

le temps passe, les gens prennent leurs marques, petit à petit. en moins d'une journée, il en est toujours à prendre possession des lieux. a se remémorer chaque pièce, chaque couloir, chaque recoin de la maison. à les emmagasiner, les uns après les autres, les inventorier, dans un coin de sa tête. et il écume les endroits vides à sa portée. si une pièce n'a personne il s'y pose. pas qu'il cherche la solitude, c'est plutôt un mélange étrange que cette volonté de ne pas déranger, cette envie de disparaître et ne pas trop savoir comment se comporter face aux autres. en société en général. parce qu'il l'a perdue la société, un peu. donc il s'est approprié, en plus de ce qu'il traîne dans sa valise, le fond de la bibliothèque, ou du moins, quelques morceaux de celui-ci. les misérables, toujours, et il avance, à son rythme. des poèmes, aussi, comme des pauses. faust en version originale. c'est qu'il a beau la désavouer, sa langue est belle, et que c'est un réconfort de la lire parfois. il n'était peut-être pas à sa place en allemagne, ni a la maison, ni à l'école, ni nulle part, ni avec personne, la nostalgie des moments perdus a quelque chose de réconfortants. et les cheveux qui tombent devant le visage, perdu, il est à son cabinet d'études dans la salle à manger désertée. il s'y perds un peu, peut-être, même s'il garde à l'oreille des pas, un couteau, la cuisine qui s'agite. et une voix, amicale, qui lui fait lever le nez, juste assez pour exprimer son attention. en regardant un peu trop bas toujours pour vraiment s’adresser à des yeux. vieux réflexe de toujours garder les yeux baissés. un signe de respect balisé. « oh - je » il lui faut quelques secondes pour sortir de sa langue, se reprogrammer sur le temps, sur l'heure, le maintenant, et son estomac qui, sans crier famine, commence à se faire vide. et il acquiesce, légèrement, se rendant à peine remarquable. « je veux bien, oui, merci ? enfin - si ça dérange pas - je veux dire. » plutôt que de partager il y a bien un frigo, elle pourrait finir plus tard. ou partager avec quelqu'un d'autre, qu'elle connaîtrait mieux, qu'elle connaîtrait bien. il n'est pas tout a fait certain de son nom, et ses mots se perdent un peu, noyés dans son accent, et une vague confusion. mais ce n'est rien de méchant, ce n'est probablement pas un piège, les gens ne sont juste pas comme ça. « merci. » et goethe rejoint hugo, rejoint poe et blake, et d'autres romantiques, sur le haut de la pile.

Tu adores te faire à manger, mais tu as toujours eu un vrai problème avec les questions de portions. Tu ne sais pas vraiment doser quoi que ce soit. Alors, autant partager. Et tu n'avais pas encore vraiment eu l'occasion de discuter ou de faire connaissance avec ce jeune homme assis à la table. « Non, bien sûr que non. J'en ai beaucoup trop pour moi, vraiment. » lui dis-tu en l'entendant se confondre en excuses. Et puis, tu proposes, donc il n'a vraiment pas à se sentir désolé. Tu attrapes une assiette et de quoi le servir. « Tu me dis stop, d'accord ? » lui dis-tu en le servant. Et puis, il a l'air tellement sage, tellement réservé et dans son coin que tu es assez contente de partager un moment avec lui. Tu as envie de connaître tout le monde, à la fois parce que tu aimais assez être entourée, mais aussi en partie pour parvenir à cerner les gens autour de toi. Après tout, vous étiez tous en concurrence, c'était important. « Tiens, voilà pour toi ! » Tu lui tends son assiette et tu t'assoies en face de lui. Tu espères ne pas trop le dérangeait, tu avais bien vu qu'il était en train de lire quelque chose quand tu es venue l'interrompre. « Toi c'est Markus, c'est ça ? » lui demandes-tu, pas trop sûre. Tu essayais vraiment de faire un effort pour retenir les prénoms, mais ta mémoire, ce n'était pas trop ça. « Qu'est-ce que tu lis ? » lui demandes-tu, curieuse.

les excuses font depuis longtemps partie de son vocabulaire, de sa grammaire, de son être, simplement. c'est qu'il y a dans cette façon de baisser les yeux quelque chose de désolé, c'est qu'on se rend petit avec le temps, quand on nous l'apprends. un respect autre, ailleurs, qui vient de l'idée même qu'il prend trop de place. idée qu'on lui aura inculqué il y a trop longtemps et qui a marqué, même loin maintenant de ceux qui l'ont causé, son corps comme son âme. les mots qui tremblent sur ses lèvres et sa posture. il n'y a que quand il signe qu'il en est débarrassé. quand il joue, peut-être un peu, mais il joue quand même replié sur lui-même souvent, juste pour lui. et il y a toujours quelque chose de surprenant dans la bienveillance des gens, quoi qu'il puisse croire en l'humanité. c'est que souvent, il a l'impression d'en être un peu tombé, d'être une classe en dessous de ces gens qui méritent le respect, la gentillesse, l'attention. il ne sait pas comment on l'aura remarqué au fond, pour qu'il arrive là. et il ne comprends toujours pas pourquoi on continue à le remarquer ici, alors qu'il continue cette routine qui semble se rapprocher de cette idée qu'il faut, autant que possible, se rendre invisible. mais elle le sert, et ses mots emplissent la pièce et sa cervelle, comme le riz l'assiette posée devant lui. le son oublie de sortir de ses lèvres quand il lève la main pour l'arrêter. parce que stop ne se dit pas. c'est plutôt un « merci. »

Tu t'installes à table, lui offrant un sourire après lui avoir passé son assiette. Ca aurait été égoiste de ta part de tout gardait pour toi. Ce n'était pas ton genre. Et oui, tu aurais pu garder le reste pour plus tard. Mais alors quoi ? Tu te serais assise près de ce gamin, sans lui adresser un mot, un regard, et en mangeant de ton côté ? Non, ça ce n'était pas trop. La vie en communauté. Tu allais faire lui, et pour toi, c'était naturel. D'habitude, tu n'es pas du genre très douée pour les small talks, mais tu fais un effort, voyant bien que la timidité du jeune homme qui te faisait face ne le pousserait pas à lancer la discussion. Tu le lances sur le livre qu'il est en train de lire. Au moins, tu ne le prenais pas au dépourvu, c'était sans doute un sujet qu'il maitrisait, et dont il voulait sans doute parler. « Mmm... Ca ne me dit rien. » Tu avais déjà entendu le nom, mais tu ne pouvais rien dire de plus à ce sujet. « Je suis pas très calée en littérature. Mon petit frère adore ça par contre. Il passe son temps à lire. » avoues-tu avec un sourire mettant la fourchette dans ta bouche. Ton petit frère devait avoir à peu près l'âge de Markus, et même s'il étudiait les mathématiques, la littérature, c'était très important pour lui. Il avait une énorme bibliothèque dans sa chambre, et tu étais à peu près sûre qu'il avait lu deux fois chacun des livres qui s'y trouvait. « Ca parle de quoi alors ? Faust, c'est ça ? » En réalité, tu n'es pas sûre que ça t'intéresse vraiment, mais ça allait le faire parler un petit peu. Tu étais peut être un peu envahissante, à ce moment précis, mais cela faisait déjà quelques jours que vous étiez dans l'aventure, et si tu avais aperçu à peu près tout le monde, c'était la première fois que tu entendais le son de sa voix, à lui, alors... Tu espérais quand même que tu ne le dérangeais pas, ou pas trop...