AWKWARD #11H15 - LE 13/03/18 - W/@DIHYA
Toujours à triturer ce machin que je porte autour du cou. Je ne sais pas pourquoi j’avais décidé de le glisser dans mon sac lors des castings. Je voulais peut être pas être la fille qui pleure sur son histoire et qui caresse nerveusement un médaillon ancien. Je voulais pas qu’on me questionne dessus peut être ? Pourtant j’ai abordé le sujet, mais en surface, sans rentrer dans la partie sentiment non ? Quand j’y pense, c’est peut être ce qui m’a empêcher de gravir le top trois. J’ai été franche, mais pas assez intime. Il faudrait que je puisse en parler avec un des membres du panel, mais ils me semblent tellement inaccessibles. Le truc, c’est qu’aujourd’hui je culpabilise d’être dans ce luxe alors que mon fils lui doit se contenter de squatter l’appartement d’une amie. Un deux pièce qui paye pas de mine dans le sud de Los Angeles. Moi, j’ai une piscine, un jacuzzi, un lit avec des draps de soies. Je suis hyper gâté, mais mon regard se perd au loin. Je dois rester focus sur l’aventure, je dois pas me laisser aller à la mélancolie. Je sais que c’est mon point faible, le fils qui m’attend à la maison. Mais c’est également ma force et ma raison d’être ici. Je suis là, à relire trois fois la même phrase d’un polar prit au hasard, installé dans le confort de la petite pergola. Enfin petite, elle fait la taille de mon salon à la maison. Les pensées sont plus fortes que l’envie de m’en débarrasser et je laisse tomber mon livre sur mes genoux, lasse. Le regard au loin, il s’accroche à la silhouette longiligne d’une candidate. On doit apprendre à faire connaissance, mais on est tous là pour la première place. En général, je ne suis pas amie avec les femmes. Ma pote qui garde mon bébé, est la seule exception. Je me méfie des femmes et les femmes ne m’aiment pas. Et pourtant c’est mon bras qui tente d’attirer son attention, sans que mon cerveau ne lui ait donner l’autorisation. J’imagine que l’envie de me changer les idées est plus forte que l’appréhension de n’avoir rien à partager. Sauf que bien sûr, elle ne me voit pas. Je ne sais pas pourquoi, ma main vient balancer mon bouquin sur la structure de la pergola qui vibre et attire finalement son attention. C’est incroyablement déplacé. « Salut! » Oui, essaye de te rattraper. Je croise mes jambes nues, insère mes mains dans les poches de mon short en jean. Le polar c’était bien sinon ?

Généralement, les journées de Dihya sont rythmées par les allées et venues à la salle de sport et son appartement, parfois le jardin public ou encore la plage, ou même un restaurant ou un bar avec ses quelques amis. Entre entrainements et quelques brefs moments où elle échange avec ces personnes qui la suivent sur les réseaux sociaux. Elle ne change pas le rythme de ses journées. Ce matin, comme chaque matin, elle s’est levée de bonne heure pour prendre son petit déjeuner et se rendre dans la salle de sport, au sous-sol. Après son entrainement quotidien, elle s’est rendue dans la salle de bain pour prendre une douche et s’habillée – seulement pour mettre un autre pantalon de sport propre et une brassière de sport –. Elle fait un détour, après s’être apprêtée, vers la cuisine pour préparer sa gourde de jus de concombre. Elle croise quelques camarades en chemin, qu’elle salue d’un sourire ou d’un discret signe de la main. Elle ignore s’ils lui ont répondu ou non. Elle trace son chemin. S’ils lui ont parlé, elle n’a pas entendu. Elle profite de la journée ensoleillée pour découvrir l’extérieur. Elle n’a pas encore pu visiter l’intégralité de la villa. Il faut dire qu’elle est tellement grande. Grande, le qualificatif est bien faible. Elle est si immense. Elle découvre alors le jardin, à la lumière du jour. Elle remarque au loin la pergola. Elle s’y dirige, dans l’idée de s’y poser quelques instants, avant de reprendre son rapide tour de la propriété, certainement. Elle fait quelques pas, bercée par le flot de pensées qui s’imprègnent dans son esprit. Elle ne sait pas concrètement ce que pense ses camarades d’elle et surtout de ce qu’ils nomment entre eux « handicap ». Elle a conscience que cela pourrait en déranger, en gêner, certains. Certains diront qu’elle est sourde, d’autres qu’elle est malentendante… mais elle déteste ces étiquettes. D’ailleurs, pourquoi dire « malentendante », y a-t-il donc des gens bien entendants, ici ? Elle ne pense pas. Elle pousse un soupir, jouant avec sa bouteille qu’elle tient entre ses mains. Elle continue son chemin, sans prêter à ce qu’il y a autour d’elle, à qui il y a autour d’elle. Puis elle croit ressentir une vibration, proche d’elle. Elle ne sait pas ce que sait. Rapidement, elle tourne la tête en direction de la source de cette vibration faible. La pergola, proche d’elle, trop proche d’elle. Elle s’arrête et aperçoit une jeune femme. Un fin sourire se peint sur le visage de Dihya. Elle détaille, quelques secondes, son visage et croit lire une syllabe sur le bord de ses lèvres. « Hi », parvient-elle à lire. Elle lui adresse un signe de la main, une salutation ponctuelle. Puis elle s’approche d’elle, et désigne à l’aide de sa main l’endroit où elle est assise, pour lui demander – et surtout lui faire comprendre – si elle peut se joindre à elle et s’installer avec elle. Evidemment, elle ne s’en offusquera pas si elle lui refuse. Rapidement, Dihya glisse sa main dans la poche de son pantalon pour sortir un carnet et un stylo.

C’est facile de se laisser porter par ses envies, mais j’ai tendance à oublier que certaines choses peuvent être « déplacé ». Je fais ce que je veux, mais je pense pas être égoïste pour autant. Je crois que y a quand même une place pour les envies les besoins des autres. Outre le faite que j’ai horreur de répondre aux attente d’un individus, je fais quand même attention quoi. Un minimum, pour pas être totalement détestable. J’ai pas envie qu’ici, comme au club, la majorité des nanas me déteste et me crache dans le dos. Parce que t’as vite fais de te retrouver avec un string saboté, qui se craque en plein show sur un twerk endiablé. Les nanas ça se sert pas les coudes et je trouve ça dommage. En tout cas toutes celles que j’ai connu dans ma vie m’ont fait des coups de merde. Ma mère, ma grand-mère, la proprio, les collègues. Y a des exception c’est clair, mais j’imagine que j’ai une tendance parano en ce qui concerne mes échanges avec la gente féminine. C’est pas pour rien que je me suis jeter sur la chambre la plus « masculine » de la maison, dans l’espoir de me faire ma petite garçonnière. Loupé, Tara s’est incrusté. Mais quelque chose me dit que je n’aurais pas de soucis avec elle. Instinct un peu merdique qui va peut être se tromper. Comme quelque chose me dit que cette nana au loin, risque pas d’être du genre à foutre de l’encre indélébile dans mon eye liner liquide. Je balance mon bouquin pour attirer son attention, elle se diriger vers moi mais semble haut de ses pensées. Je voudrais pas qu’elle se prenne la pergola dans le visage, ça pourrait la disqualifier. Non mais, je sais que c’était clairement pas très adroit de ma part, j’aurais put simplement me lever et venir à sa hauteur. Peut importe. Son regard sombre me remarque enfin. La nana passe son temps à faire du sport ? Elle a une hygiène de vie incroyable. Je crois bien être déjà tombé sur sa page perso, elle a une sacré communauté. Elle va tous nous coiffé au poteau, manquerait plus qu’elle soit hyper doué en photoshoot et qu’elle nous gagne tous les challenge, elle va rafler les deux trophée. « Oui, bien sûr. » Je l’invite d’un geste de la main à venir s’installer à coté de moi. Je crois que je suis maladroite. Parce que je veux trop bien faire. J’ai pas envie qu’elle se sente comme dans un zoo, tu sais genre « oh la sourde ». Mais c’est une info qui ne passe à coté de personne. Elle ne parle pas, elle signe. L’interprète qui se cachait dans un coin de la pièce au premier panel n’était pas si discret que ça.  J’ai la sensation de la traiter différemment que les autres, d’être plus attentive, plus calme et peut être moins « moi ». Un ajustement. Il suffit d’un ajustement. J’espère qu’elle ne s’en rend pas compte, parce qu’à sa place cela me rendrait folle. J’aimerais savoir signer, ce serait tellement plus facile. « Tu lis sur les lèvres donc ? Est-ce que je parle trop vite ? » J’ai un débit classique. En faite, je crois que j’ai besoin de savoir comment ça marche pour me sentir pleinement à l’aise. Ça m’évitera de refaire des trucs du style, lui balancer un bouquin sur elle.

Dihya remarque la présence d’une de ses camarades. Elle lui demande alors, à sa façon, si elle peut prendre place à ses côtés. Elle n’ose pas s’installer sans demander, peut-être parce qu’elle a peur de déranger. Elle dérange. Elle a parfois cette impression. C’est parfois cette sensation que ceux qui ont la capacité d’entendre lui renvoie, celle de déranger, celle de ne pas avoir leur place avec eux, parce qu’elle est différente, parce qu’ils l’ont casé dans la case de l’handicapée. Un sourire se peint sur ses lèvres de la métisse, quand la jeune femme lui dit qu’elle peut. Elle l’a lu sur ses lèvres. Dihya s’assoit à ses côtés, elle se munit aussitôt de son carnet qu’elle pose sur ses genoux. Elle s’installe, de façon à pouvoir au mieux le visage de son interlocutrice et plus précisément ses lèvres. L’idéal serait qu’elles se tiennent l’une face à l’autre. Elle lui adresse de nouvelles paroles. Les yeux de Dihya s’attardent sur ses lèvres qui s’articulent, pour pouvoir lire ce qu’elle lui dit. Un fin sourire se peint sur ses lèvres, hochant hâtivement la tête pour répondre à sa première. En effet, elle lit sur les lèvres. C’est la première chose que les spécialistes du langage lui ont fait apprendre : la lecture labiale, afin de pouvoir lire ce qu’on lui dit. Puis sa camarade lui demande si elle parle trop vite. A cette seconde question, elle répond par la négative, puis elle lève son pouce en l’air comme pour lui signifier – de façon très triviale – que son débit est bon, suffisant lisible pour elle. Dihya se munit de son stylo, pour griffonner quelques mots sur la page blanche. « C’est très bien comme ça ! Surtout, par pitié, ne te mets pas à sur-articuler les mots, déjà, tu seras affreusement ridicule et ça ne m’aidera pas. », qu’elle inscrit, avant qu’un air amusé se peigne sur son visage. « En fait, il faut juste veiller à toujours faire en sorte de me parler en face – pour que je puisse lire sur les lèvres », reprend-elle sur son carnet, en terminant par le tendre en direction de sa camarade. Elle ne quitte pas ce sourire qui s’est peint sur ses lèvres. Elle est l’une des premières personnes, dans cette villa, à se soucier de son débit, à se soucier si elle peut lire sur ses lèvres et bien la comprendre. Dihya ne peut cacher être quelque peu touchée par cette attention de la part de sa camarade. Elle lui demande alors son prénom, ensuite, en écrivant sur la page, à la suite de ce qu’elle avait déjà écrit « ton nom ? ». Ils sont vingt-quatre et elle n’a pas eu le temps de retenir le prénom de tous les candidats, ni le temps d’associer un prénom à un visage. Puis elle se présente à son tour, en se désignant à l’aide de sa main. « Dihya », tente-t-elle d’articuler maladroitement. Elle ne sait pas si la suite de sons a un sens ou non. Puis elle le réécrit sur son carnet.

Face à l’inconnu, des tas de comportements s’imposent. Les plus lâches d’entre nous affrontent une peur inconsidérée. Quand d’autre, comme moi, sont maladroits. De nature curieuse, j’ai envie de pouvoir me plonger dans son univers. Sauf que je ne me sent pas à l’aise, parce que j’ai la sensation que je vais faire des faux pas. Je veux trop bien faire. L’idée même de la mettre dans une position qui la dérange, qui l’agace ou qui la fait se sentir inférieur, me donne des boutons. Sauf que parfois quand on veut éviter d’avoir un comportement déplacé, on finit par l’avoir et faire pire. Je me dis que le mieux c’est que je pose des questions, que je lui demande comme ça fonctionne. Comment notre communication va pouvoir s’installer pour qu’elle devienne simplement naturelle. Quand j’y réfléchi de plus près, je me dis que c’est le même processus pour toute première rencontre. On jauge, on tente, on essaye et après ça roule tout seul. Elles sont rares les rencontres avec qui le clique se fait directement. Alors je devrais peut être pas trop me focus sur sa différence, même si ça fait parti de ce qu’elle est. Elle lit sur les lèvres donc, c’est un exploit qui me semble tellement inimaginable. A part quand on est du FBI ou de la CIA. Cet apprentissage à dut être compliqué. Je détaille son regard, ce soleil que je peux y voir à l’intérieur me rend tout de suite plus à l’aise. Le miel de sa peau, la douceur de ses gestes. Je savais que j’allais pas vraiment pouvoir la détester, malgré le faite qu’elle est clairement une grosse concurrente pour moi ici. Un sourire éclos sur le bord de mes lèvres, du genre naïf et spontané. Elle me tend un carnet. Un petit rire s’échappe de mes lèvres. Oui, j’imagine que la sur articulation doit être drôle et épuisante à regarder. D’accord, en face, débit normal. Je lève un pouce en l’air, comme elle, sans rien dire. Je ne sais pas, elle m’ôte les mots de la bouche et j’ai la sensation que ce n’est pas si important finalement. Qu’on peut communiquer autrement. Je souris bêtement et regarde de nouveau le carnet, puisqu’il me restait encore un petit mot à lire. Mon prénom ? « Genesis. » Je formule dans un sourire. La Genèse, le début de ta fin. Un homme de passage dans ma vie, m’a un jour fait cette réflexion. Qu’il aurait dût se douter, que je ne serais pas le début d’une histoire. Mais le début de notre fin. Je ne l’ai pas prit de la mauvaise façon, je sais ce que je veux. Et puis ça à quelque chose de bien plus poétique que sa signification biblique. Elle se présente, je crois comprendre un prénom à la consonance maghrébine. Elle écrit de nouveau. Dihya. Oui c’est bien ça. « Montre moi comment tu signes nos prénoms. » D’un mouvement de fesse, je m’approche. Ne voulant rien rater, l’osmose s’installe. Les doutes et les maladresses s’évaporent. Je m’installe dans son univers. Du moins, j’essaye.

Sa camarade ne parle pas trop vite, ni trop lentement. Dihya parvient à lire sur ses lèvres. Elle se permet de glisser à la jeune femme, qu’il ne faut pas qu’elle sur-articule : déjà parce qu’elle serait ridicule – les gens pensent certainement qu’en parlant plus fort et qu’en sur-articulant, ils l’aideront à se faire comprendre ; ils pensent à tort – et que ça ne l’aide en rien. Bien au contraire, cela lui complique la tache. Après ces quelques indications, elle se permet de lui demander son prénom. Depuis son entrée dans cette villa et dans cette aventure, elle a retenu quelques prénoms. Ceux avec qui elle a discuté jusqu’ici. Ils ne sont pas nombreux, certes. Le regard de Dihya se pose sur le visage de sa camarade ; elle lui parle. Sûrement prononce-t-elle son prénom. Elle croit lire « Genesis ». Genesis, c’est ainsi qu’elle s’appelle. Un large sourire se peint sur les lèvres de la belle métisse, elle lui adresse un signe de tête puis ses deux mains s’éveillent pour lui adresser quelque chose. « Enchantée », qu’elle signe. Dihya tente de prononcer son prénom, se souvenant de la façon dont elle doit articuler chaque syllabe qui compose son prénom – c’est le premier mot qu’elle a appris à prononcer avec son orthophoniste. De peur d’être mal comprise par sa camarade, elle le réécrit sur son carnet. Par la suite, Genesis, sa camarade, lui demande de lui montrer comment elle signe leurs prénoms. Dihya reprend son carnet qu’elle pose sur ses cuisses sur lesquelles elle peut prendre appui. «En si peu de temps, je n’ai pas eu le temps d’assimiler un nom-signe à chaque personne… je n’ai pas eu le temps de rencontrer tout le monde encore… », écrit-elle comme une confidence, tendant la page manuscrite vers la jeune femme. Un soupir qu’elle ne parvient pas à entendre franchit la barrière de ses langues. « Mais j’ai trouvé un nom-signe pour chaque personne ou presque de ma chambrée », qu’elle gribouille par la suite. Elle commence alors par son premier camarade de chambrée : sûrement le signe le plus simple et le plus facilement reconnaissable pour Genesis. Elle mime avec ses mains une barbe importante. Le signe barbe, c’est Anders. Elle lance un regard en direction de sa camarade, attendant qu’elle devine la personne à qui elle a attribué ce signe. Elle reprend ensuite, puis elle griffonne quelques mots sur son carnet pour donner une indication : « ce signe désigne la couleur blonde ». Donc Barbie. « J’ai pas encore trouvé pour Keven et Nora (?????) », écrit-elle, en haussant les épaules. Cela viendra peut-être plus tard. Chaque nom signe est personnel, désignant une particularité physique ou un trait de caractère.