Il commence à se faire tard, les minutes défilent et tout le monde ne cesse d’aller et venir autour de moi. Après un repas plus que léger, la faute à un déjeuner pris à la hâte beaucoup trop tard dans la journée pour me permettre d’avoir faim au moment du diner, j’ai été dérobé un plaid dans le salon afin de me rendre à la pergola. J’ignore si j’ai un coup de pompe, j’aurais plutôt tendance à dévorer des chocolats en pleurant devant une série télévisée ou une rediffusion d’un film romantique que je connais déjà par cœur. Non, j’ai le moral, je me sens bien mais je ne peux m’empêcher de ressentir le besoin de m’isoler quelques minutes. Tant pis si on me prend pour une alcoolique, je me prépare un bon verre de vin blanc et m’envole jusqu’à ladite pergola. Personne ne prête trop attention à mon arrivée, j’en profite donc pour me glisser dans l’un des fauteuils et me recouvre une bonne partie du corps avec le plaid. Il fait bon, mon verre de vin m’apporte la dose de réconfort qui fait du bien… Tout va bien dans le meilleur des mondes. La situation s’améliore un peu plus encore lorsque Dihya entre dans la pergola. Pas besoin d’user de la parole, d’un signe de tête je l’invite à se joindre à moi et utilise ce qu’elle m’a appris pour lancer la conversation. Je prends quelques secondes pour déposer mon verre et me remémorer mes leçons de la semaine passée. « Bonsoir, tu vas bien ? » Il y a encore des progrès à faire, pourvu que je ne me sois pas trompée en gesticulant, imaginez si je me trompe et que je dis quelque chose d’hyper offensant sans même le savoir.

Dihya erre dans la grande villa, ne sachant où s’installer ni que faire. Il faut croire que l’endroit n’est pas assez grand pour elle. Elle pousse un soupir. Son regard s’échoue sur les vitres, détaillant du regard la nuit qui s’installe dans le ciel. Elle reste, un long moment, songeuse, s’appuyant sur le rebord de l’une des vitres. Elle ne prête pas attention à ses camarades qui passent à ses côtés – peut-être lui ont-ils adressé quelques mots, mais elle en doute, ils se seraient arrêtés pour lui signifier leur volonté de discuter avec elle, d’être en sa compagnie. Elle ne bouge plus et contemple l’extérieur qui revêt ses habits de nuit. Plusieurs longues minutes s’écoulent, quand elle décide de sortir. Elle s’habille d’une veste en jean et marche en direction du jardin. Les mains dans les poches de son pantalon, elle laisse son regard s’habituer à la lumière sombre, qui contraste avec la lumière artificielle de la villa. Elle aperçoit au loin les lanternes près de la pergola allumées. Ces points lumineux attirent son attention, elle s’y rend. Par curiosité, sûrement. En s’approchant, elle remarque la présence de l’une de ses camarades. Elle lui adresse un signe de la main. Elle ne sait pas si elle l’a vu ou non. Elle croit reconnaître les traits de Tara. Un discret sourire se peint sur les lèvres de la métisse. Quand elle apparait dans son champ de vision, elle remarque sa camarade se tourner vers et lui signer quelques mots. Elle lui demande comment elle va. Enfin si elle va bien, en l’occurrence. Dihya hoche légèrement les épaules, avant de signer quelque chose qui signifie « couci-couça ». Depuis la dernière cérémonie du panel, elle s’est rendue à l’évidence de certaines choses, par rapport à la remarque que Sandra lui avait formulée. Elle nage parmi les autres, parait-il. Peut-être parce qu’elle n’a pas sa place, ici ? Depuis quelques jours, elle remet en doute sa présence dans cette villa, dans cette aventure, dans cette émission. Elle ne sait pas si elle saura capable de mieux. Elle ne saura pas apprendre seule. Elle n’a ni modèle, ni maître pour lui apprendre, et pourtant c’est bien ce qu’on lui demande… apprendre. Elle pousse un soupir, en se laissant retomber mollement dans la grande poire. Puis elle se tourne en direction de Tara, « et toi ? ». Un sourire étire ses lèvres en voyant la jeune femme, avec un verre à la main.

Difficile de se sentir en pleine forme et serein quand tu viens de passer par le premier véritable panel du jeu. Il y a quinze jours, éclater des ballons pour apprendre sa sélection ne faisait office que d’amuse-bouche. Il n’était plus question de se préparer à entrer dans l’aventure ce dimanche, nous avons mis les pieds dans le plat et le bilan effectué par les différents membres du panel ainsi que par Cesare s’est avéré destructeur pour une partie d’entre nous. Je pense à des Devan, Riley qui semblent avoir déçu au même titre qu’un Markus qui a surpris par son manque d’entrain et son désir de ne pas participer à un shooting sous prétexte que cela challengeait sa pudeur. Difficile de se sentir confiante après une telle soirée où j’ai tout simplement été oubliée par l’ensemble des intervenants. Je suis probablement dans la moyenne mais je déteste cela, je crois même que j’aurais tendance à préférer figurer parmi les déceptions parce que j’aurais au moins quelque chose sur lequel travailler. Je sais que je n’ai pas été parfaite sur le shooting, je n’ai pas vraiment brillé avec Cesare, mais pour atteindre la dixième place c’est qu’il a du se passer autre chose. J’aimerais avoir une base de travail et j’ai été privée de cela. Pas le moindre conseil, pas la moindre réaction, pas de véritable retour détaillé… Je me sens plus isolée et perdue que jamais. Une pilule difficile à avaler pour l’enseignante que je suis, j’ai appris à ne jamais laisser un élève dans le flou, à toujours présenter des pistes de remédiation dès la correction de mes copies. Ne jamais distribuer une mauvaise note sans offrir les clés pour améliorer les résultats. J’ai tellement à cœur de pousser vers le haut que je me sens finalement trahie d’avoir été laissée de côté de la sorte. Incapable de juger de ma propre prestation ni même de faire preuve de suffisamment de recul pour savoir comment rebondir. J’ignore si Dihya n’est pas au meilleur de sa forme pour la même raison que moi, elle semble néanmoins ne pas aller très très fort non plus. « Viens t’asseoir près de moi, tu veux un verre de vin ? » Je tapote le fauteuil à côté de moi en prenant soin de faire un effort d’articulation pour aider la jeune femme. « Tu veux en parler ? C’est les résultats du panel ? »

Dihya s’installe non loin de Tara, sous la pergola, lui répondant alors ne pas être au meilleur de sa forme. Elle a clairement connu des jours meilleurs. Elle porte son attention sur le visage de sa camarade, qu’elle peut voir grâce aux lumières artificielles qui éclairent au cœur de la nuit opaque. Elle remarque ses lèvres remuer. Elle se concentre afin de lire sur ces lèvres. Elle lui demande si elle veut boire un verre de vin blanc. Dihya dodeline délicatement la tête de gauche à droite, puis de droite à gauche, elle signe ensuite un « non merci ». Elle apprécie tout de même l’attention de sa camarade. « Tu bois pour oublier quelque chose ?... », écrit-elle après avoir sorti son carnet. Cette dernière lui demande si elle veut en parler, évoquant l’hypothèse que sa méforme pourrait venir des derniers résultats du panel. « Résultats du panel, les commentaires de Sandra, etc. Je me demande si j’ai vraiment ma place, ici », qu’elle gribouille sur son carnet en le tendant en direction de sa camarade. C’est sa grande question du moment. Elle n’a peut-être rien à faire ici.

Le vin blanc, probablement le meilleur remède contre toutes les grosses claques que tu peux prendre au quotidien. Un excellent outil à utiliser lorsque tu désires savourer une victoire ou parfaire un moment d’une qualité unique. Un bon verre de ce breuvage me permet toujours de marquer une pause dans mon quotidien pour apprécier, tout simplement. On ne prend pas toujours le temps de reprendre son souffle après une énorme journée, c’est pourtant ce qui permet de rebondir le plus aisément. Dihya refuse ma proposition, peut-être ne boit elle pas d’alcool du tout. Je n’ai jamais pensé à poser la question, peut-être devrais-je le faire maintenant ? Non, le timing serait très mal choisi, il semblerait que la jeune femme soit dans un état aussi mauvais que le mien, victime de ses pensées, de sa raison. Elle me tend son carnet et un sourire délicat étire directement mes lèvres. « Pour oublier très certainement… Pas sûr que je parvienne à oublier ma position au classement du challenge. » Oh que non, difficile d’oublier que je squatte à la dernière place, tout juste devant les fantômes de la villa. « Oh… D’ailleurs… Que préfères-tu ? Que j’utilise un carnet pour te répondre ou que je continue à parler ? Je sais qu’il est tard, ce doit être plus difficile pour toi de lire sur mes lèvres. » Un putain de challenge, peut-être même le parcours du combattant. Ses questionnements me font immédiatement réagir. « Dis-moi quels sont les arguments en faveur de ta participation, quels sont ceux qui jouent en défaveur ? Qu’est-ce qui, pour toi, permet de se sentir à sa place ici ? »