Je ne sais plus très bien de quoi je rêvais à ce moment-là, peut être que je venais de remporter la finale de america next top model ou alors du meilleur pâtissier, je ne me souviens plus très bien. Ce dont je me rappelle par contre, c’est que j’ai été réveillé par un cri. Un candidat dans une autre chambre, celle d’à côté. Je ne tarde pas du tout à reconnaître le timbre de voix de Sander. Mes camarades poussent des jurons, mais ils n’ont pas la force de se lever en pleine nuit pour aller lui dire tout ça en face. J’entends la porte de l’autre chambre se refermer assez brutalement, j’imagine bien que c’est lui, je veux savoir ce qui lui arrive. Je me lève de mon lit vêtu d’un short un peu court et d’un haut aussi mini que le short. Pour éviter de me cailler les miches, je m’entoure de ma couette. Je sors de la chambre discrètement et je suis alors le mannequin qui n’a visiblement pas l’air dans son assiette. J’évite de l’appeler pour éviter de réveiller les autres chambres et je pénètre à sa suite dans la salle de détente, sauf qu’il n’a pas l’air ravi de me savoir sur ses pas. A la fin de ses propos, je me mords les lèvres. J’aurais peut-être mieux fait de le laisser tranquille, mais je sens qu’il ne va pas bien et je ne suis pas du genre à laisser quelqu’un dans son coin. Quand il se retourne enfin vers moi, il s’adoucit un peu. Je n’étais donc pas visé par ses propos précédents, ce qui me rassure. Je n’ai jamais vu Sander dans cet état, il est beaucoup plus doux et souriant habituellement à mes côtés. J’en suis presque surprise. Il me demande alors s’il a crié trop fort. J’en deviens toute timide, je me contente d’hocher la tête positivement pour confirmer ses propos. Je constate également qu’il n’a pas sa prothèse à sa jambe. « Non, personne ne va venir. » Je m’installe à côté de lui et j’essaye d’y aller doucement. Il a déjà l’air à fleur de peau, je n’ai aucune envie qu’il passe ses nerfs sur moi, mais si ça peut lui faire du bien, je suis prête à supporter. Je mets la couette autour de ses épaules et me colle à lui. « Qu’est-ce qui s’est passé, tu as rêvé de Reem qui t’harcelais sexuellement ? » J’essaye de plaisanter, pas envie qu’il pense que je le prenne en pitié alors que ce n’est pas le cas. J’apprécie beaucoup Sander et je sais qu’il n’a pas juste eu envie de s’en prendre à sa chambre gratuitement. La chaleur qui émane de son corps, traversant même mon fin pyjama, me confirme mes dires.

Je n’ai pas l’habitude de gérer ce genre de souffrance. J’ai déjà eu l’occasion d’être réveillé par mes copines en plein milieu de la nuit, à quatre-vingts pourcents à cause d’une histoire de mec pas fidèle ou pas encore rentré de sa soirée. Je suis aussi celle qu’on appelle lorsqu’on est en colère ou triste. Je suis la personne de la situation. Sauf que j’ai peur de ne pas pouvoir aider Sander. Il n’a pas l’air d’être celui qui appelle à l’aide. Et comment pourrais-je l’aider ? Ce qu’il a l’air de vivre se sont des douleurs fantômes. Rien qu’on arrive à guérir malheureusement. Tout se passe là-haut, dans la tête. Je l’écoute m’expliquer ses fameuses douleurs qu’il semble bien connaître. Je le fixe, peinée. J’ai tellement envie de l’aider et ne pas savoir quoi faire pour me rendre utile me frustre. J’essaye donc de continuer sur la lancée de l’humour. « Toi qui est européen, tu as dû voir le films intouchables. Logiquement, c’est le moment où je t’emmène fumer un joint. » Je souris, pas trop sûr de ma blague. S’il ne connait pas la référence, ça ne sera pas très drôle pour lui. Il me demande si je suis sûr de vouloir rester avec lui, que je dois être en forme pour les épreuves. Je secoue la tête négativement. « Ne t’en fais pas pour moi, les nuits blanches sont ma spécialité. » J’attrape alors son bras que je serre contre moi, tout doucement, posant également ma tête sur son épaule. « Et puis, moi je te trouve de très bonne compagnie. Comment ça se fait qu’on ne partage pas le même lit, déjà ? » Je plaisante bien sûr, mais c’est lui qui a dit que j’étais sa bonne étoile pour l’aventure. Alors généralement dans ce cas-là, on ne s’éloigne pas trop de sa fameuse étoile. « Allez, raconte-moi tout. Qui est réellement Sander en dehors de cette aventure ? » Je relâche son bras, en riant, naïvement. « Tu vas peut-être même m’apprendre que tu es marié et que ta femme va vouloir me faire la peau de savoir que je te colle pour la deuxième fois en si peu de temps. » Je fais référence à notre moment à la piscine, quand je les confondu avec une bouée de sauvetage.

Ma référence au film intouchables ne semble pas franchement le faire rire. Faut dire que je ne suis pas non plus l’as des blagues. Il me dit que par contre, si j’ai un joint à lui offrir, ça ne sera pas de refus. « Désolé, je ne fume pas ce genre de chose. » Déjà qu’un verre d’alcool me monte assez vite à la tête, alors je n’imagine même pas un joint. Je me retrouverais dans un drôle d’état. Sander essaye de me persuader d’aller me recoucher, mais hors de question. Je ne pourrais jamais le laisser dans cet état-là. Rien que d’y penser, je n’arriverais pas à trouver le sommeil de toute façon. Je lui explique que je suis une spécialiste des nuits blanche. Et il me demande pour quelle raison. « Diverses raisons. Je suis souvent la copine qu’on appelle quand on a un souci, un conseil à avoir ou juste pour demander un service. Je ne sais pas dire non. » Oui, en gros je suis la bonne poire à qui on demande constamment quelques choses et qui ne demande jamais rien en retour. Faut dire aussi que j'aime bien ça rendre service aux gens. J'ai horreur de voir les gens tristes, alors si je peux permettre à quelqu’un d’aller mieux, je n’hésite pas une seconde. « D’après le panel, je devrais essayer de travailler sur ça. Pour éviter de me faire écraser d’après eux. » J’hausse les épaules. Ils ont peut-être raison au fond, mais quand c’est dans la nature de quelqu’un, c’est compliqué de changer du jour au lendemain. Je blague sur le fait qu’on ne partage pas la même chambre, pire encore, le même lit. Il me dit que ça peut encore se faire avec l’ensemble des départs et qu’il penserait presque que je lui fais des avances. Je soulève ma tête de son épaule, sourire mutin aux lèvres. « Et si c’était le cas, monsieur Sander, qu’est-ce que ça changerait ? » A force de jouer sur ce terrain-là, il va vraiment finir par croire que je suis une vraie obsédée. Je demande alors à en savoir un peu plus sur lui, je plaisante même sur le fait qu’il est peut-être marié et que je ne sois pas au courant. Si c’était le cas, elle doit certainement avoir envie de me faire la peau. Il prend la parole et sur le coup de la surprise, je me décolle un instant de lui. Non, mais, il est vraiment marié ? Et l’alliance, elle est où ? Et puis … Il est divorcé. Il le précise très rapidement. Je suis quand même surprise, je n’imaginais pas un instant porté sur l’engagement, faut dire que je ne le connais pas non plus par cœur. Moins d’un mois qu’on partage notre quotidien, mais il peut être tout à fait différence de ce qu’il montre. C’est ce qu’il essaye de me faire comprendre en tout cas. Il pense que je ne l’aurais pas apprécié l’année précédente, ni actuellement. Je pose instinctivement ma main sur la sienne. « Ne dis pas n’importe quoi, Sander. » Je conserve toujours un petit sourire sur les lèvres. « Tu es la première personne avec qui j’ai parlé ici et tu es aussi la personne que j’apprécie le plus dans cette aventure. Alors oui, il y a certainement un côté de ta personnalité que je ne connais pas, mais de ce que j’ai vu jusqu’ici rien ne pourrait me faire changer d’avis à ton sujet. » Chacun à sa part d’ombre. Bon, sauf peut être moi, je n’ai jamais été du genre à avoir une personnalité un peu plus sombre, je pense même que les gens pensent que je suis trop lisse. Même si je ne trouve pas que c’est un défaut d’être celle que je suis. Tant qu’on est dans les confidences, j’ose enfin poser la question que je ne lui ai jamais posé jusqu’ici. Par pudeur et puis, j’attendais peut-être qu’il m’en parle naturellement. « Tu n’es pas obligé de me répondre, mais tu ne m’as jamais raconté pour ton accident. » J’aimerais beaucoup qu’il se confie à moi, même si je sais qu’il peut me repousser à tout moment. Je n’en ferais pas tout une histoire. Chacun ses démons.