Je ne sais pas pourquoi je commence à m’aventurer sur une telle voie. Il va me prendre pour une folle, peut-être même qu’il va voir en moi la plus perverse des candidates. Tout cela parce que j’ai des remarques qui dépassent parfois le simple cadre de l’intimité de mes pensées. J’ai de l’imagination, c’est bien d’en avoir, n’est-ce pas ? « Ah, tu vois… Quand tu iras voir ton tatoueur et qu’il commencera à t’appliquer le modèle sur la teub, tu penseras à moi et tu te diras que je suis la meilleure conseillère au monde. You’re welcome mon petit ! » Espérons qu’il ne prenne pas mes conseils à la lettre, qu’il préserve la chose qui lui sert de verge, parce qu’un tatouage à ce niveau-là ça n’a rien de très excitant. La réponse sera forcément différente pour d’autres personnes, quand tu vois que certains éprouvent du plaisir à se déféquer dessus, tout est possible. « Amen pour tes limites. » Pourquoi ? « Autant je trouve un tatouage travaillé vraiment beau sur le corps en général, autant j’aurais tendance à éprouver une certaine gêne quand c’est sur le visage et à trouver ridicule de se tatouer les parties génitales. » Par contre, il n’a pas mentionné une partie de son corps, de quoi retenir mon attention. « Et les fesses ? T’as marqué ton popotin ? » Un sourire moqueur étire mes lèvres, aurait-il cédé à la tentation ? La simple idée fait se réveiller mon cerveau qui ne cesse d’élaborer plusieurs hypothèses sur ce qu’il aurait pu se faire tatouer là-bas. Je me laisse aller à un pacte avec le diable, parce que j’aime jouer dangereusement, pour cela, j’accepte de sacrifier compassion et tendresse. Pas besoin de me le demander deux fois, j’ai conscience que c’est la réaction qui irrite le plus parce que cela fait tout de suite penser à de la pitié. Rien de pire que de la pitié. Un petit tour par les éternels stéréotypes en m’excusant pour la mort de son frère, comme si j’étais fautive dans cette histoire et je choisis de rebondir rapidement sur un autre élément pour me sortir d’une gêne… Comment ne pas être mal à l’aise quand tu termines la conversation sur un décès. L’humain est incapable de gérer ce genre de choses correctement, qu’es-tu censé répondre à cela sans paraitre trop indélicat ? 2014, cela remonte à bientôt quatre ans. Le calme dont il faisait preuve jusqu’à maintenant laisse place à la rage. Il est en colère et je ne peux que comprendre cela. J’ai été dévorée par la colère après la mort de ma mère, dix ans plus tard j’ai encore tout le mal du monde à réagir autrement. « Ce sont toujours eux qui s’en sortent le mieux malheureusement. Le seul réconfort que tu pourrais trouver là-dedans c’est qu’il aura probablement à faire face aux conséquences de ses actes pour le restant de ses jours. » Et encore, certains oublient rapidement ce qu’ils ont fait, de quoi questionner leur humanité. « Non, je suis fille unique, j’aurais pourtant adoré avoir plusieurs frères et sœurs, j’ai toujours aimé les grandes familles. Peut-être parce que t’as l’impression que tu ne pourras jamais vraiment être seul pour traverser les différentes épreuves de la vie. » J’ai du affronter le deuil toute seule quand ma mère est morte, j’ai beaucoup sacrifié pour trouver de l’argent à apporter à mon père qui se noyait sous les factures après avoir payé les factures de l’hôpital, l’enterrement… C’est dingue à quel point le système continue de t’enfoncer quand ton monde vient de voler en éclats. « Tu as mentionné internet tout à l’heure… Dois-je en déduire que tu possèdes déjà une certaine notoriété ? »

La demoiselle semble partager mes limites. En même temps je pense qu'un bon nombre de personnes ont les mêmes. Rare sont quand même les gens prêts à se tatouer la teub ou la gueule. C'est pousser le vice assez loin là. Mais elle semble retenir une information donnée au passage comme si de rien n'était. Mes fesses seraient elles tatouées ? J'esquisse un sourire malicieux.  « Ah ça... Faudra le découvrir par toi même. » Mais je ne doute pas qu'elle aura l'occasion de voir mon magnifique popotin. Ne serait ce que dans le métier, avec les divers photoshoot etc, on est souvent emmené à se changer, se déshabiller etc. Ou alors elle pourrait aussi tomber sur moi en train de prendre ma douche, Genesis en a déjà fait les frais. Après il y'aurait bien sur d'autres façons aussi de le découvrir pour elle... Je pourrais aussi être simplement d'humeur généreuse et lui faire voir si elle est gentille. En vrai, en faisant quelques petites recherches, elle pourrait le trouver su mon compte insta, j'ai dû le partager à l'époque quand je l'ai fais. Oui je montre mon cul sur les réseaux sociaux, et alors. Puis on entre dans le vif du sujet. Les raisons de mon handicap.  Pas un souvenir que j'aime me rappeler. D'ailleurs, la rage monte en moi à chaque fois que je pense à ce connard de chauffard qui a bousillé ma vie. Et qui physiquement s'en est sorti indemne. Psychologiquement ? Cela j'en sais rien. On a pas franchement gardé contact.  « Quel réconfort... » Lorsqu'elle déclare que je pourrais en trouver en me disant qu'il devra vivre avec les conséquences de ses actes pour toujours. Génial, ça aide à m'apaiser. Mais bon allez, pensons à autre chose, je lui demande du coup si elle a des frères et sœurs. Non, elle est fille unique.  « C'est vrai que c'est sympa... Même si ça peut générer pas mal de conflits aussi. Je suis en froid avec une très grande partie de ma famille en ce moment... » Je ne suis pas franchement en odeur de sainteté parmi les miens.  « Mais au bout du compte, je sais qu'ils seront là si j'ai besoin. Enfin j'espère... » Il ne faudrait pas que je les ai poussé tellement à bout qu'ils en aient plus rien à faire de ma gueule. Tara revient ensuite sur ma notoriété.  « J'ai une page wikipédia, c'est la consécration non ? » Quel bonheur au début quand tu découvres qu'on en a crée une spécialement pour toi.  « Je suis un peu connu oui...En Norvège surtout. Et pour les amateurs des sports de glisse. J'étais un sportif de haut niveau. Du snowboard. Quelques mois avant mon accident, j'étais à l'apogée de ma carrière... Je venais d'être titré aux jeux de Sotchi. Cela a boosté ma notoriété. » Le grand public a commencé à me connaître. Une médaille olympique, ça permet de mettre en lumière des sports méconnus. Qui sont beaucoup moins médiatisés. Ne serait-ce que le temps de quelques semaines.  « C'est marrant en ce moment, il doit y'avoir les jeux paralympiques qui se jouent. » Cela n'a rien de spécialement marrant mais ça vient de m'y faire penser.

Si certains trouvent un intérêt à se faire tatouer le visage, les parties génitales ou même pire, à se faire couper la langue par un chirurgien pour qu’elle soit comparable à celle d’un serpent… Tous ces délires ne sont clairement pas les miens. Si j’apprécie les tatouages et les piercings, je reste tout de même relativement classique. L’harmonie prime sur tout le reste. Oublions cela pour se concentrer sur l’essentiel s’il vous plait, la question qui brûle les lèvres de l’ensemble de la population mondiale… Au moins tout cela, toujours plus la Tara. Sander est-il tatoué sur les fesses oui ou non ? Monsieur opte pour la malice en m’invitant à enquêter, rien de tel pour faire s’étirer mes lèvres en un fin sourire tout aussi taquin. « Est-ce une invitation à l’inspection ou vais-je avoir besoin de concocter un mandat de perquisition d’ordre fessier ? » Je peux me transformer en agent de police le temps d’obtenir réponse à ma question, c’est tout à fait dans mes cordes. La frontière entre l’enseignement et la criminologie est mince, je passe déjà mes journées à interroger des témoins… Des élèves quoi. Difficile de trouver les mots lorsque Sander m’apporte les éléments nécessaires à une vision globale de ce qui l’a privé de son frère et de l’une de ses jambes. Je me demande s’il existe quelque chose de suffisamment réconfortant, les mots ne sont pas assez puissants pour parvenir à retranscrire ce que j’aimerais pouvoir lui dire. Je marche à l’interaction physique, j’ai besoin de toucher l’autre pour être comprise. Ici ce serait trahir le pacte auquel j’ai consenti tout à l’heure. J’aurais aimé avoir la chance d’avoir des frères et sœurs, il aurait peut-être été moins pénible de grandir, je me serais sentie moins seule lorsque ma mère est décédée. « Tes rapports avec ta famille sont compliqués ? A cause de l’accident ? » Je me laisse aller à une simple supposition, il me reprendra surement si je me trompe. Sander jouit donc d’une certaine notoriété, intéressant, ancien sportif titré aux Jeux Olympiques. « Après ton accident, tu n’as pas songé à poursuivre le sport en passant au handisport ? » J’aurais peut-être du taper son nom sur google, il le fait peut-être déjà, qui sait.